Un chouette type qui voit loin

Publié le 23/11/2023
Claire Burnet
D. Rodrigues

Une interview avec Daniel Rodrigues, directeur de la Compagnie des Guides de Chamonix

Ingénieur écologue, photographe animalier, accompagnateur en montagne et directeur de la Compagnie des Guides de Chamonix, Daniel Rodrigues a plus d’une plume à son chapeau !

A seulement 36 ans, on a l’impression qu’il a déjà acquis la sagesse d’un ancien. Sans doute, c’est le fait d’avoir côtoyé la nature depuis sa plus tendre enfance, des études qui ont aiguisé sa sensibilité et des rencontres marquantes ; mais il me plait de penser que son animal préféré, la Chouette Chevêchette d’Europe (Glaucidium passerinum), qu’il a étudié pendant cinq ans, lui a transmis de sa sagesse légendaire. À l’image de ce petit oiseau emblématique, Daniel est discret, volontaire et visionnaire.

     
En effet, en tant que directeur de la prestigieuse Compagnie des Guides de Chamonix, il se doit d’être visionnaire. Il partage avec ses confrères (Olivier Gréber, le président, Didier Tiberghien, directeur des GHM et le Comité) la responsabilité de développer une stratégie durable pour l’avenir.

Après une longue journée de réunions autour des refuges de montagne, Daniel a eu la gentillesse de répondre à mes questions et de revenir sur son parcours et ses aspirations.    

Q : Tu as toujours été passionné par la nature?

Oui, je suis né à Chamonix, et, petit, j’ai beaucoup parcouru les montagnes avec mes parents. Deux personnes en particulier ont influencé mes choix de carrière. La première était Guy Peters mon instituteur (également guide de haute montagne). Lorsque j’étais en CE2, il a emmené toute la classe passer une nuit en montagne. Nous avons pris le train jusqu’à Servoz et ensuite nous sommes partis à pied pour le refuge de Moëde Anterne – 1200m de dénivelé et une longue journée de marche pour nos petites jambes. Je me souviendrai toute ma vie de l’émerveillement que j’ai ressenti en me réveillant dans ce lieu magique en plein cœur de la nature.

Et l’autre personne c’est mon cousin Georges Moreira, qui m’a souvent emmené avec lui lorsqu’il préparait son diplôme d’accompagnateur en montagne. J’ai le souvenir des heures passées avec lui à ramasser les myrtilles que nous vendions ensuite au Parc de Merlet.

  
Refuge Moëde Anterne

Q. Ton premier diplôme était celui d’accompagnateur en montagne?

Oui, et depuis que je suis diplômé, j’ai toujours travaillé à la Compagnie des Guides. Pour moi c’était une évidence ! Parallèlement j’ai suivi des études d’ingénieur en gestion et protection des milieux de montagne à l’Université de Savoie Mont Blanc et ensuite je suis devenu écologue indépendant.      
 

Q. Et ton amour pour la photographie?      
Ma passion pour la photographie est arrivée pendant mes études d’écologue, tout d’abord dans le cadre du suivi des rapaces lors des migrations. Progressivement, le but biologique est devenu davantage une recherche artistique et j’ai passé beaucoup de temps à photographier la faune de montagne. J’ai aussi commencé à faire des vidéos et des films. 

Q. Parle-moi de ton film “Origines” qui est sorti en 2017       
C’est un récit qui raconte des histoires d’animaux par le regard d’hommes et de femmes, amoureux de la nature, qui souhaitent partager leur passion. J’ai passé cinq années à rechercher les reliques glaciaires, la faune venue du froid lors de la dernière glaciation. Ces espèces sont aujourd’hui présentes dans les massifs montagneux français où elles trouvent des conditions favorables à leur vie. Entre forêts boréales et roches nues des hautes altitudes, ce projet de film avait pour vocation de sensibiliser les acteurs de la montagne aux bonnes pratiques afin que ces espèces puissent perdurer.

Origines - La faune venue du froid

Q. Déjà en 2017, à travers ce documentaire, tu sensibilisais les pratiquants à la nécessité de ne pas déranger la faune en hiver.  Tu dois être content de la campagne de communication de l’office de tourisme cet hiver? 

Oui je suis ravi que l’on mette l’animal au cœur de la campagne de communication. C’est la première fois que cela arrive et c’est courageux. Ensemble, avec les réseaux de communication de l’office de tourisme et les dispositifs d’information mis en place par la communauté de communes, nous ancrons petit à petit cette notion de partage de la montagne dans les esprits. Prendre conscience que nous avons tous un impact sur notre environnement est la première clef de reconnexion à la nature.

     
 Q. Dans ton film tu parles d’une histoire d’adaptation des espèces animales. Qu’en est-il pour les métiers de montagne?

On sait que la montagne est particulièrement impactée par le réchauffement climatique et cela porte atteinte aux habitats d’espèces animales et végétales, mais à nous, professionnels de la montagne, aussi !      
La fonte spectaculaire des glaciers, les chutes de pierres à répétition, nous obligent à faire face à des changements qui constituent pour nous un véritable défi d’adaptation.       
Nous avons une chance énorme dans la Vallée de Chamonix de pouvoir vivre de nos métiers de montagne, mais il faut se rendre à l’évidence que l’on doit revoir nos habitudes.

Pour que nos métiers perdurent, nous devons nous projeter dans un monde contraint. C'est aujourd'hui qu'on pose les premières pierres de l'adaptation, qu'on le veuille, ou non. 

Q. Depuis plus de 200 ans, la Compagnie des Guides de Chamonix a su se réinventer pour répondre aux enjeux de chaque époque. Tu peux me citer des exemples d’adaptation aujourd’hui ?     
Nous devons privilégier la pluriactivité, et imaginer de nouvelles pratiques.      
Dans la diversification de nos métiers, nous proposons davantage d’expériences, telles l’initiation à l’escalade et à l’alpinisme, le canyoning, la cascade de glace ... Certains guides passent d’autres diplômes, comme le monitorat de VTT.  Ces dernières années, nous avons aussi développé nos infrastructures :  l’accropark, la base de rafting, la via ferrata...      
Il y a également une migration en fonction de la saison, des guides qui font le choix de partir fin juillet et août travailler dans d’autres massifs, voire passer des mois entiers à faire du canyoning en Corse ou de l’escalade dans la Drôme. 

Q. Et vous développez des activités sur les ailes de saison      
Oui, depuis cette année, nous avons mis en place des sorties à thème, comme le brame du cerf, le rut du chamois et la migration des oiseaux à l’automne. Peu de gens le savent, mais la vallée de Chamonix se trouve sur un axe migratoire important. À un endroit précis, on voit les nuées d’oiseaux, c’est une chose incroyable !

 Il y a encore beaucoup de choses à faire sur les ailes de saison et, à mon sens, c’est la clé pour palier le sur tourisme.   
 

S’agissant d’un autre exemple de diversification, nous serons bientôt certifiés centre de formation pour les futurs professionnels AEM (accompagnateurs en montagne) et Guides. Nous proposerons sur les intersaisons des stages de préparation aux probatoires de ces deux métiers.

Q.  La Compagnie des Guides joue un rôle fondamental d’éducateur à la nature pour tous les publics ?

 Oui, nous sommes 190 guides de haute montagne et 60 accompagnateurs en montagne à la Compagnie et nous sommes les sentinelles de notre environnement.

Nous défendons tous l’idée que l’on ne protège que ce que l’on aime, et pour aimer il faut connaître.      
 

Nous avons constaté pendant la période Covid, avec la clientèle de proximité, qu’il y avait une vraie demande pour cette reconnexion à la nature.        
En hiver par exemple, une trentaine d’accompagnateurs encadre les sorties quotidiennes en raquettes autour de plusieurs thèmes animaliers : traces et indices de vie ; observation des chamois ; adaptation de la faune en hiver et comment ne pas la déranger. Pour des expériences d’immersion totale, des bivouacs en tente et en igloo sont proposés sur des sorties de deux jours et ça plaît énormément.   

Q. Et vous proposez aussi des sorties gratuites pour les jeunes du Pays du Mont-Blanc     
Tout à fait. En 2021, date anniversaire de nos 200 ans, nous avons créé le Fonds pour l’Environnement et la Haute Nature : FOEHN. Il finance des actions de sensibilisation et de préservation : programmes pédagogiques gratuits, soutien financier aux travaux de recherche et de restauration des écosystèmes.      
Nous finançons un cycle de formation gratuit destiné aux enfants de la Vallée de Chamonix, de Saint Gervais et des Contamines âgés de 10 à 12 ans. Encadrés par des professionnels, une soixantaine d’enfants découvre chaque samedi de mars à juin le milieu montagnard, les espèces qui y vivent et les habitats qui le composent. Ils sont également sensibilisés aux enjeux auxquels la vallée est confrontée dans le contexte du réchauffement climatique.

Q. Vous essayez aussi de sensibiliser les visiteurs sur leur bilan carbone      
Oui, parce que nous savons que 95% de nos émissions proviennent du trajet des clients.       
Pour être en accord avec nos valeurs et afin de limiter l’empreinte carbone de nos clients, nous ne mettons plus de budget sur le développement des destinations long courrier. À cette fin, pour sensibiliser les voyageurs, un calculateur de carbone est proposé sur notre site.      
Or, la transition et la diversification de notre activité est grandement liée à une clientèle qui ne vient pas pour pratiquer une seule activité. Pendant la période Covid nous avons réussi à regagner une clientèle de proximité (belges/italiens/français) qui, même si elle a un plus faible pouvoir d’achat, vient pour vivre des expériences et pour faire diverses activités.  

Pour anticiper l’avenir, dans un monde contraint où l’on peut s’imaginer moins de déplacements, le choix d’axer notre communication sur La France et l’Europe est aussi stratégique.

Q. Dans le cadre de vos missions, mais également avec votre casquette d'écologue et d'élu, il me semble que vous travaillez souvent avec d’autres acteurs de la Vallée 
Oui, cette transversalité est essentielle. Je travaille avec des partenaires tels le CREA Mont-Blanc- Centre de recherche des écosystèmes en altitude, Asters - Conservatoire d'espaces naturels de Haute-Savoie, la Communauté des Communes de la Vallée de Chamonix, La Compagnie du Mont-Blanc et l’Office de Tourisme bien sûr.  
Pour donner un exemple, je travaille sur la connaissance du Loup dans la vallée depuis 2020 grâce au réseau de pièges photos que je déploie en collaboration avec l’IPRA (institut pour la promotion et la recherche sur les animaux de protection) et la communauté de communes. Nous avons maintenant une meilleure connaissance de la faune dans la vallée, notamment au sujet des grands prédateurs (loup et lynx). Le partage de ces connaissances avec l’ensemble des acteurs de la vallée est précieux. 

Q. Le mot de la fin ?      
En tant que directeur de la Compagnie des Guides, je me dois de préparer un avenir qui ne dépende pas du sur tourisme, et d’avoir une vision à 10 ou 20 ans.       
Si nous arrivons à être pluriactifs et à développer davantage nos produits sur les ailes de saison, nous subirons moins l’urgence de la saison. Devoir faire la majorité de son chiffre d’affaires sur une période de deux à trois mois met les professionnels de la montagne dans une situation inconfortable et parfois stressante.      
J’aspire à un tourisme plus doux, plus en harmonie avec nos valeurs et plus respectueux de notre environnement unique.

 

Origines - La faune venue du froid par Daniel Rodrigues sur Vimeo.

La Compagnie des Guides de Chamonix 

 

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